De l’hygiène des infirmiers à celle des usagers

L’hygiène des mains est la mesure principale de prévention des infections dans le monde hospitalier. Une vaste campagne sur l’hygiène des mains, organisée par l’OMS, a su réduire non seulement le nombre d’infections nosocomiales, mais aussi la propagation des résistances microbiennes. Il est temps de transposer ces expériences au domaine de la réduction des risques et des dommages (RdRD).

LES INFECTIONS BACTERIENNES ET FONGIQUES

Les mesures de RdRD mises en place ont eu des effets positifs sur le VIH et commencent à porter leurs fruits sur le VHC. Néanmoins, elles ont eu peu d’effet sur la survenue des infections bactériennes et fongiques. Chaque mois, 25% des personnes qui injectent des drogues (PQID) souffrent d’un abcès [1] et chaque année, plus d’une centaine de PQID souffrent d’une endocardite [2]. Les bactéries peuvent également causer des infections profondes et des septicémies. Ces infections constituent un problème majeur de santé publique et contribuent à des décès évitables, ainsi qu’à une utilisation additionnelle de ressources financières considérable.

Les germes les plus impliqués sont le Staphylocoque Doré (S. Aureus) et des Streptocoques [3]. Lorsque ces bactéries sont étudiées en détail, on découvre qu’elles proviennent des PQID elles-mêmes. Elles font initialement partie de la flore cutanée ; la manipulation du matériel, du produit injecté et du site d’injection avec les mains non lavées est une des causes principales des infections bactériennes chez les PQID. L’hygiène des mains reste donc la première mesure de prévention.

Dans ce domaine, il a toujours été conseillé de se laver les mains avant de préparer l’injection. L’observance est cependant mauvaise avec entre 15% et 50% des PQID qui ne se lavent pas (toujours) les mains avant de préparer leur injection [4]. Certaines personnes manquent de connaissances sur les causes de la contamination. L’absence de point d’eau, mais aussi l’urgence de la consommation empêchent les personnes de suivre ce conseil.

A l’hôpital, l’observance des soignants dépassait rarement les 50% avant que l’hygiène des mains ne devienne une priorité pour l’OMS pour lutter contre les infections nosocomiales.
On peut s’inspirer du travail qui a été effectué par l’OMS pour l’hygiène des mains et le transposer dans le domaine de la réduction des risques : dans un cas, il s’agissait de lutter contre les transmissions croisées entre soignants et patients; ici, il s’agit de lutter contre les auto-contaminations des usagers eux-mêmes.

La promotion d’une meilleure hygiène de consommation pourrait prévenir de nombreuses infections et sauver des vies. L’observance du lavage des mains pré-injection peut être améliorée par la proposition d’une technique rapide, efficace et compatible avec de multiples contextes de consommation.

UNE MAUVAISE OBSERVANCE

Si les soignants connaissent mal les bonnes pratiques et perçoivent leurs performances comme bien supérieures à la réalité (les médecins qui pensent avoir adhéré à 80% aux préconisations affichent en réalité une observance de moins de 30%), on peut imaginer que la situation n’est pas meilleure pour les PQID

Et en effet, parmi 59 personnes qui ont participé à une étude effectuée par INSERM [5], 14% indiquaient ne pas se laver les mains avant l’injection, 40% disaient le faire la moitié du temps ou moins et 38% mentionnaient toujours se laver les mains. Parmi les produits les plus utilisés, on trouvait l’eau et le savon (47%), mais aussi l’eau seule (14%).

Lorsqu’on explore les raisons pour lesquelles les PQID ne se lavent pas toujours les mains, on trouve 2 axes principaux [6]:

  • Un manque de connaissances : 27% des personnes mentionnent ne pas avoir besoin de se laver les mains et la moitié des PQID ignorent que les microbes peuvent venir des mains : la formation est donc primordiale pour changer cette situation.
  • Un manque d’outils adaptés à leurs pratiques et au contexte de consommation : 22% des personnes mentionnent ne pas avoir accès à l’eau et au savon et 44% des personnes mentionnent être trop pressées pour se laver les mains. Le recours à la friction hydro alcoolique semble un élément indispensable dans ce contexte.

LA FRICTION HYDRO-ALCOOLIQUE : D’UN STANDARD DANS LE SOIN VERS UN STANDARD DE LA RDRD

La friction des mains au moyen d’une solution hydro-alcoolique (SHA) est aujourd’hui le standard de qualité des pratiques d’hygiène des mains dans les institutions de soins. Elle s’est avérée plus efficace que le lavage des mains et l’utilisation de lingettes [7].

Le geste de l’infirmière qui pratique l’injection est le même que le geste de l’usager qui aide un autre usager à s’injecter, s’exposant ainsi à une transmission croisée ; il s’apparente au geste de l’infirmière qui fait un prélèvement sanguin ou pose un cathéter, exposant son patient à une hétéro-transmission manuportée.

Il restait un obstacle : la méthode de lavage des mains validée par l’OMS était longue et compliquée dans le contexte de la consommation. Une méthode très simple et rapide vient d’être validée par l’équipe du Professeur Pittet [8], expert mondial de l'hygiène des mains.
Il s’agit d’une friction des mains qui est encore plus efficace que la méthode « officielle » en seulement 3 étapes et 15 secondes. Cette méthode s’appelle « le bout des doigts d’abord », elle est détaillée dans la figure ci-dessous.

Le recours à une SHA comporte plusieurs avantages par rapport au lavage des mains traditionnel :

  • La désinfection peut être réalisée beaucoup plus rapidement (épargnant le temps né-cessaire au déplacement, au rinçage, ainsi qu’au séchage des mains),
  • Elle peut être réalisée en l’absence de lavabo,
  • Les SHA sont disponibles en conditionnement individuels, faciles à transporter,
  • Une SHA est efficace en quelques secondes seulement,
  • Au plan microbiologique, la SHA présente l’avantage d’un spectre large ; elle est efficace contre des bactéries, champignons et des virus,
  • L’utilisation de gel hydro alcoolique s’est avérée efficace sur des mains souillées. Néanmoins, il reste utile d’inciter les personnes à se laver les mains le plus souvent possible hors contexte de consommation (à l’occasion d’une visite à une structure spécialisée par exemple) pour diminuer le taux de souillures des mains.

La désinfection à l’aide d’une SHA constitue donc une alternative compatible avec l’enchaînement des étapes de la préparation de l’injection. Elle est, de ce fait, totalement adaptée à la consommation de drogues; son acceptabilité vient d’être démontrée dans une étude menée par INSERM [5].

Il est à noter que ni les autres agents antibactériens, ni les solutions hydro-alcooliques ne sont dotés d’une activité sporicide. Toutefois, les spores responsables d’infections graves dans le domaine de l’injection de drogues sont relativement rares. Si présentes, elles proviennent le plus souvent de la drogue elle-même et non pas des mains. Dans ce cas, elles peuvent être éliminées par une filtration avec un filtre antibactérien.

INDICATIONS

Dans l’idéal, lors de la préparation et de l’auto-injection de drogues, la désinfection des mains devrait avoir lieu à quatre moments distincts (avant de mettre en place la surface de préparation/ après la mise en place du matériel sur cette surface et avant de préparer le produit/ après avoir préparé la solution et avant de l'injecter / après la fin de la séance). Toutefois, il est judicieux de simplifier les étapes et de proposer seulement un moment pour la désinfection des mains et ce pour les raisons suivantes :

  • Le contexte est particulier avec une urgence perçue qui est forte,
  • Plusieurs études ont démontré que le lavage systématique des mains avant l’injection diminue le risque d’infections bactériennes sans que les mains ne soient lavées à plusieurs reprises,
  • Il faut privilégier la promotion de mesures atteignables, il est donc préférable de promouvoir un moment de désinfection qui sera suivi et adopté que quatre moments qui ne sont pas compatibles avec le contexte de consommation et qui ne seront pas adoptés.

Le moment le plus opportun se situe après avoir posé le matériel nécessaire à la préparation sur une surface et avant de préparer la solution à injecter.

CHANGER LES COMPORTEMENTS

La plupart des études sur des changements de comportements ont démontré qu’une stratégie multimodale est à privilégier. La stratégie pour promouvoir l'utilisation du gel hydro alcoo-lique se base sur 6 paramètres :

  1. Mettre à disposition du gel hydro-alcoolique et proposer aux PQID de recourir systématique à la friction hydroalcoolique pour se désinfecter les mains pré-injection,
  2. Eduquer et former le personnel des structures spécialisées et les PQID,
  3. Evaluer l’action : Effectuer des mesures indirectes du taux d’observance des pratiques. Une mesure peut être la comparaison dans le temps - tous les 6 mois – de la quantité de gel hydro alcoolique distribuée par seringue distribuée,
  4. Restituer les résultats de l’évaluation aux personnes qui travaillent dans la structure, ainsi qu’aux PQID qui la fréquentent,
  5. Afficher des rappels incitatifs dans les locaux (des posters muraux) et les renouveler périodiquement,
  6. Un soutien institutionnel large est primordial pour parvenir à un changement. Il faut que les équipes de direction, les équipes de terrain et les usagers pairs soient très impliquées dans la promotion de la désinfection des mains.

Dans le milieu hospitalier, ce type d’action a fortement diminué le taux d’infections. Chez les PQID, le lavage des mains systématique pourrait réduire le nombre d’infections de façon substantielle.

UNIVERSALITE DE LA PROBLEMATIQUE ET IMPLICATIONS

De nombreuses études ont démontré la relation entre une amélioration des pratiques d’hygiène des mains dans le milieu hospitalier et la réduction des taux d’infections liées aux soins. L’OMS reconnaît l’usage de la friction hydro-alcoolique comme le standard de l’hygiène des mains au cours des soins pour les raisons d’efficacité de l’action antimicro-bienne, de rapidité d’action, de disponibilité immédiate sur le lieu de soins et de tolérance cutanée.

Inspirons-nous de cette efficacité dans le domaine de la RdRD.

La promotion de l’hygiène des mains au cours de la préparation de l’injection est une des mesures de prévention des infections non virales les plus efficaces. L’application d’une SHA est particulièrement adaptée à cette population en raison de sa rapidité d’action, son efficacité sur un grand nombre de microorganismes (malgré l’éventuelle présence de souillures sur des mains) et sa compatibilité avec presque tous les contextes de consommation.

Pour que cette promotion aboutisse, il faut se concentrer sur les six paramètres évoqués : améliorer la disponibilité du gel, promouvoir son utilisation à large échelle, répéter sa promotion dans le temps, former le personnel et les PQID, et mesurer l’efficacité et l’observance des mesures mises en place.

Pour réussir, cette indication doit être connue et reconnues de tous les professionnels et PQID. La promotion de l’hygiène des mains peut evenir un élément moteur dans la prévention des infections non virales chez les PQID.

Nous nous appuyons dans cet article sur le travail de Didier Pittet et notamment : Hygiène des mains : révolutions, normalisation, globalisation. Rev Med Suisse 2009 ; 5 : 716-21.
Les citations qui ne sont pas référencées dans l'article de Didier Pittet se trouvent ci-dessous :
1] Toufik A, Cadet-Taïrou A, Janssen E, Gandilhon M. (2008). Profil, pratiques des usagers de drogues. ENa-CAARUD. Résultats de l’enquête nationale 2006 réalisé auprès des « usagers » des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques. TREND, OFDT. 49 p
[2] Revest M, Doco-Lecompte T, Hoen B, Alla F, Selton-Suty C, Duval X (2013) Epidémiologie de l’endocardite infectieuse en France. BEH 10 : 89-94
[3] Gordon RJ and Lowy FD (2005) Current concepts. Bacterial infections in drug users. A review. N Engl J Med 353(18): 1945-1954 / Mertz D, Viktorin N, Wolbers M, Laifer G, Leimenstoll B, Fluckiger U, Battegay M (2008) Appropriateness of antibiotic treatment in intravenous drug users, a retrospective analysis. BMC Infect Dis. 8:42
[4] Binswanger, IA, Kral, AH, Bluthenthal, RN, Rybold, DJ, Edlin, BR (2000) High Prevalence of Abscesses and Cellulitis Among Community-Recruited Injection Drug Users in San Francisco Clin Infect Dis. 30 (3): 579-581 / Dahlman D, Håkansson A, Kral AH, Wenger L, Ball EL, Novak SP. (2017) Behavioral characteristics and injection practices associated with skin and soft tissue infections among people who inject drugs: A community-based observational study. Subst Abus. 2017 38(1): 105-112 / Mezaache S, Protopopescu C, Debrus M, Morel S, Mora M, Suzan-Monti M, Rojas Castro D, Carrieri P, Roux P. (2018) Changes in supervised drug-injecting practices following a community-based educational intervention: A longitudinal analysis. Drug Alcohol Depend. 192:1-7
[5] Mezaache S, Roux P (2020). Etude ACCSOLU, Acceptabilité d’une intervention éducative visant à promouvoir l’utilisation d’une solution hydroalcoolique pour le lavage des mains des personnes qui injectent des drogues. SESSTIM, INSERM, pp52
[6] Scott J. (2008) Safety, risks and outcomes from the use of injecting paraphernalia. Scottish Government Social Research. 2008 (www.scotland.gov.uk/socialresearch)
[7] Ory J, Zingg W, de Kraker M. E.A, Soule H, Pittet D (2018) Wiping Is Inferior to Rubbing: A Note of Caution for Hand Hygiene With Alcohol-Based Solutions. Infect Control Hosp Epidemiol 2018;1–4
[8] Tschudin-Sutter S, Rotter ML, Frei R, Nogarth D, Hausermann P, Stranden A, Pittet D, Widmer AF (2017) Simplifying the WHO ‘how to hand rub’ technique: three steps are as effective as six:vresults from an experimental randomized crossovervtrial. Clinical Microbiology and Infection 23 (2017) 409.e1-e409.e4